La Cour de cassation – Chambre criminelle (N° de pourvoi : 08-81.126, Publié au Bulletin) a rendu un arrêt en date du 21 octobre 2008, cassant l’arrêt de relaxe de la cour d’appel de Bordeaux du 14 décembre 2007, pour défaut de base légale et défaut de motif.
Lucienne est une personne âgée et atteinte de la maladie d’ALZEIHMER. Elle est suivie en neurologie. Elle n’a pas d’enfant. Elle a de lointains neveux ou nièces. Elle se désintéresse habituellement aux questions de succession. Sous la coupe d’une « amie », elle établit néanmoins un testament le 12 octobre 2003, instituant celle-ci, dénommée Edith, comme sa légataire universelle. Puis elle est placée sous tutelle.
L’UDAF de Lot et Garonne, gérante de tutelle de Lucienne, prend connaissance des affaires de la majeure protégée et décide de déposer plainte pour abus de faiblesse.
L’article 223-15-2 du code pénal punit de peines délictuelles l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse, d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une défaillance physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente et connue de son auteur pour la conduire à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
En l’espèce, la Cour d’appel de Bordeaux a estimé que l’infraction d’abus de faiblesse n’était pas établie à l’égard de Mme Edith car d’une part, il n’était pas démontré que la prévenue avait eu connaissance de l’état de particulière vulnérabilité de la testatrice, et que d’autre part, l’abus de faiblesse ait pu lui causer un préjudice grave.
Sur le préjudice grave à la victime
La Cour d’appel a considéré que le préjudice requis par la loi doit être grave. En l’espèce, il aurait été grave si la testatrice avait laissé des héritiers réservataires, qui par l’effet de ce testament, aurait nécessairement été lésés et que ces derniers n’auraient pas dû être exhérédés.
Or, en l’espèce, la testatrice, bien que vulnérable, n’avait pas d’héritiers réservataires. Les neveux et nièces éloignés ne sont pas des héritiers réservataires. Ils ne sont pas protégés par la loi en matière successorale et peuvent ne rien recevoir de la défunte.
Pour la Cour d’appel, un testament qui ne prend effet qu’au décès de son auteur, ne peut porter préjudice qu’aux héritiers qui seraient évincés de la succession ; par ailleurs, il peut être révoqué par son auteur et soumis à une action en nullité par les héritiers qui s’estiment lésés ;
La Cour d’appel ajoute par ailleurs que Lucienne n’avait jamais manifesté d’intention libérale à l’égard de ses neveux ou de tout autre personne ; au contraire, il a été rapporté qu’elle se désintéressait de la question de sa succession ; ces circonstances excluaient donc que la rédaction d’un testament en faveur d’Edith constitue pour Lucienne un grave préjudice.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel de ce chef :
« Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure qu’Edith a été renvoyée devant le tribunal correctionnel pour, notamment, avoir frauduleusement abusé de la situation de faiblesse de Lucienne Y…, âgée de 83 ans, atteinte de la maladie d’Alzheimer et placée de ce fait sous sauvegarde de justice, en obtenant qu’elle rédige à son profit un testament olographe l’instituant sa légataire universelle, délit prévu par l’article 223-15-2 du code pénal ; qu’elle a été condamnée de ce chef par le tribunal ; qu’elle a interjeté appel, de même que le ministère public et l’Union départementale des associations familiales, partie civile ;
Attendu que, pour relaxer la prévenue, l’arrêt retient qu’un testament, qui ne prend effet qu’au décès de son auteur, ne peut porter préjudice qu’aux héritiers évincés de la succession, qu’il peut être révoqué par le testateur et être soumis à une action en nullité par les héritiers qui s’estimeraient lésés ; que les juges ajoutent que Lucienne Y… n’a pas d’héritiers réservataires, qu’elle n’avait jamais manifesté d’intention libérale à l’égard de quiconque et qu’elle se désintéressait de la question de sa succession ; qu’ils en déduisent que ces circonstances excluent que Lucienne Y… se soit trouvée conduite à un acte qui lui ait été gravement préjudiciable ;
Mais attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ».
II. la connaissance par l’auteur de la vulnérabilité de la victime
Edith prétendait en outre qu’elle n’avait pas eu conscience que l’état mental de Mme Lucienne se dégradait.
En l’espèce, étaient en cause, le testament et le prêt de la maison de Villereal, rédigés le 12 octobre 2003.
Contrairement à la Cour d’appel, la Cour de cassation relève les faits suivants :
A cette date, l’état de Lucienne avait été repéré non seulement par le médecin traitant, le docteur A…, qui avait fait obtenir à sa patiente une prise en charge à 100% à compter du 29 mars 2002 et signalé le cas au juge des tutelles le 20 février 2003, mais aussi par l’entourage :
– Mme B… qui l’a conduite chez un neurologue en avril 2002,
– Philippe C…, son ancien expert-comptable, indique que c’est fin 2002 début 2003 qu’il a commencé à aider Lucienne Y… pour ses « papiers » qu’elle négligeait,
– Mme C… qui confirme que l’état de Lucienne Y… a commencé à se dégrader au moment du décès de M. Y… et qu’un « cap important » a été franchi fin 2002 – début 2003 ;
Seules des amies d’Edith Z…, qui n’ont été en contact avec Lucienne Y… que pour de très courtes périodes, soutiennent que Lucienne Y… apparaissait comme bénéficiant de tous ses moyens intellectuels.
Edith qui a vécu auprès de Lucienne au moment du prêt de 2003 et qui soutient qu’elle la connaissait depuis de très nombreuses années, ne peut prétendre qu’elle n’aurait pas perçu la dégradation que l’entourage habituel avait décelé depuis 2002.
D’ailleurs, elle est intervenue personnellement dans la gestion des affaires de Lucienne auprès de ses banquiers, ce qui démontre qu’elle ne pouvait qu’avoir constaté que son amie n’était plus en mesure de pourvoir seule à ses intérêts.
Selon la Cour de cassation, c’est donc à tort qu’Edith prétend qu’elle n’a pas eu connaissance de l’état de faiblesse de Lucienne en octobre 2003.
La Cour de cassation CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives à la relaxe prononcée du chef d’abus de faiblesse pour les faits concernant la rédaction du testament, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Bordeaux, en date du 14 décembre 2007 et renvoie à la cour d’appel d’Agen pour qu’il soit statué sur les intérêts civils.
Au vu de ce qui précède, la loi pénale est d’interprétation stricte. Les juges du fond ne peuvent pas lui ajouter une condition supplémentaire afin de dire que l’infraction n’est pas caractérisée dans tous ses éléments constitutifs.
Une personne vulnérable peut être victime d’abus de faiblesse qu’elle ait ou non des héritiers réservataires.
Le préjudice est grave si elle a été amenée à établir des actes qui ont eu pour effet de la déposséder de son patrimoine à son détriment comme à celui de tout héritier réservataire ou non réservataire qui aurait pu lui succéder au lieu et place de la légataire universelle ayant abusé de la faiblesse de sa victime.
Me Ronit ANTEBI Avocate en droit des successions
Publié le 15 mai 2021