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Comment évalue-t-on le préjudice corporel ?

Par Maître ANTEBI - Avocat à Cannes, Nice, Grasse, Antibes

Avocat à Cannes - Maître AntebiDroit médicalDroit médical : comment évaluer le préjudice corporel ?

Nov

11

Droit médical : comment évaluer le préjudice corporel ?

Selon la Cour de cassation, « l’auteur d’un dommage est tenu à la réparation intégrale du préjudice de telle sorte qu’il ne peut y avoir pour la victime ni perte ni profit » (civ 2, 9 novembre 1976, n°75-11.737). La loi impose de tenir compte des prestations versées par les organismes autres que l’auteur du dommage, la sécurité sociale en l’occurrence.

Le tiers payeur a le droit d’exercer un recours contre l’auteur. Il ventile sa créance poste par poste.

La victime a cependant un droit de préférence et exerce son recours contre l’auteur avant le tiers payeur.

Pour évaluer un préjudice corporel, il faut solliciter une expertise médicale devant le juge des référés.

L’expert donnera son avis sur le degré de gravité des préjudices subis, poste par poste, avec l’aide d’un sapiteur au besoin.

Il déposera un rapport d’expertise médicale qui sera la pièce maîtresse du procès.

L’on distingue les préjudices patrimoniaux et les préjudices extra-patrimoniaux.

I. Les préjudices patrimoniaux

Au nombre des préjudices patrimoniaux, comptent les préjudices temporaires et permanents.

Les préjudices temporaires sont ceux qui sont identifiables avant la consolidation de la blessure.

A. Les préjudices patrimoniaux temporaires :

  • Les dépenses de santé actuelles regroupent les frais médicaux, paramédicaux, pharmaceutiques et hospitaliers à la charge de la victime pendant la maladie traumatique.
  • Les frais divers sont constitués par les frais de forfait hospitalier, les frais de télévision et de téléphone engagés pendant l’hospitalisation, les frais de transport (le barème des frais kilométriques publié annuellement par l’administration fiscale est couramment utilisé mais il ne faut pas oublier d’inclure les frais de stationnement et de péage).
  • Les frais de garde des enfants.
  • Les frais d’adaptation temporaire du logement ou du véhicule.
  • Les frais temporaires exceptionnels (recours de certaines professons artisanales à un personnel de remplacement).
  • Les honoraires de médecins conseils consultés par la victime.
  • Les pertes de gains professionnels actuelles : il s’agit des pertes de revenus professionnels entre la date de l’accident et la date de consolidation, comprenant les pertes de salaires, de primes, d’indemnités éventuelles ou des pertes de chiffres d’affaires concernant les professions libérales.

Il faut donc calculer la différence entre la rémunération ou le chiffre d’affaires qu’aurait dû percevoir la victime et celui qu’elle a effectivement obtenu.

Pour un salarié, il faut multiplier les salaires mensuels par le nombre de mois d’incapacité professionnelle entre l’accident et la consolidation.

Pour un chômeur, il faut déterminer un salaire potentiel en fonction de ses antécédents professionnels et de l’avancement en recherche d’emploi.

Pour une profession indépendante, il faut se référer au chiffre d’affaires.

B. Les préjudices patrimoniaux permanents

Ce sont les préjudices évaluables à compter de la consolidation de la blessure.

Les dépenses de santé futures :

Ils correspondent aux dépenses médicales, paramédicales, pharmaceutiques, prothétiques, du matériel spécialisé engendrés par le handicap définitif de la victime.

L’indemnisation intervient généralement sous forme de capital et plus rarement sous forme de rente.

Les frais de logement adapté :

Il s’agit des frais supportés par la victime pour adapter son logement à son handicap : frais d’adaptation d’un logement préexistant, surcoût lié à l’acquisition d’un domicile mieux adapté, frais de déménagement et d’emménagement, frais d’hébergement au sein d’une structure spécialisée, frais d’agence et de notaire …

Les frais de véhicule adapté :

Il s’agit des frais engagés pour adapter son véhicule à son handicap (ceux engagés avant la consolidation sont indemnisés au titre « frais divers »). Cela peut correspondre encore aux frais de transports en commun. Il faut prendre en compte le renouvellement du véhicule qui est communément estimé à 7 ans.

L’assistance par une tierce personne :

Ce sont les dépenses liées à l’assistance permanente d’une tierce personne pour aider la victime dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité, suppléer à sa perte d’autonomie.

L’indemnisation est versée sous forme de rente viagère suspendue en cas d’hospitalisation.

Les pertes de gains professionnels futures :

Il s’agit de la perte de revenus professionnels depuis la consolidation.

Si le préjudice économique est définitif, il peut être alloué un capital ou une rente viagère.

L’incidence professionnelle :

Il s’agit des dommages professionnels qui se distinguent des gains professionnels futurs : dévalorisation sur le marché du travail, abandon de carrière, perte d’une chance d’embrasser une carrière, pénibilité accrue de l’emploi, reconversion professionnelle…

Il est habituellement alloué un capital dont le montant dépend de l’âge de la victime, de la nature de l’incidence subie, de la profession exercée, du milieu professionnel…

Le préjudice scolaire, universitaire ou de formation :

La victime a pu endurer une perte d’années d’études, de formation une déscolarisation passagère ou une modification d’orientation.

Sera indemnisé le retard dans l’entrée dans la vie active ; la première année de retard sera chiffrée en référence au SMIC augmentée de 10 puis de 15 % les années suivantes.

II. Les préjudices extra-patrimoniaux

A. Les préjudices extra-patrimoniaux temporaires

Le déficit fonctionnel temporaire :

Il correspond aux gênes de tout ordre subies par la victime dans sa sphère personnelle jusqu’à la consolidation. C’est la perte de qualité de vie et des aisances de la vie courante.

Il se compose :

  • Atteinte à l’intégrité corporelle c’est-à-dire préjudice physiologique temporaire
  • Séparation de la victime de son environnement familial durant les hospitalisations
  • Préjudice d’agrément temporaire
  • Préjudice sexuel temporaire
  • Privation des activités sociales (jeux, sport…).

Le déficit fonctionnel temporaire est évalué par l’expert au moyen d‘un pourcentage. Il peut être total lorsque la victime ne peut plus reprendre aucune activité, ou partiel lorsque elle pourra les reprendre progressivement.

Il lui est alloué une somme mensuelle forfaitaire déterminée par les blessures initiales et leur localisation, les habitudes de vie antérieures, l’âge de la victime …

Le préjudice esthétique temporaire :

Il s’agit des atteintes, altérations de l’apparence physique de la victime : perte de voix, boiterie, cicatrices, port de plâtre, déplacement avec canne ou en fauteuil roulant …

Ce poste n’est pas réservé aux grands brûlés mais à toute victime.

Il est évalué sur une échelle de 1 à 7 et est indemnisé par l’allocation d’une somme forfaitaire.

Les souffrances endurées :

Il s’agit des souffrances physiques et psychiques endurées pendant la maladie traumatique.

Ce poste de préjudice est temporaire, les souffrances endurées après la consolidation étant réparées au titre du déficit fonctionnel permanent.

Il est évalué sur une échelle de 1 à 7 et réparé par l’allocation d’une somme forfaitaire.

Il prend en compte :

  • Les circonstances de l’accident (agression violente, dommage collectif …)
  • La gravité des blessures initiales
  • La durée des hospitalisations et le type de service hospitalier
  • Le nombre d’interventions chirurgicales
  • La durée des soins et les traitements supportés
  • La prise de conscience de la victime de la gravité de son état…

L’administration de la preuve de la souffrance endurée est ici prioritaire (produire les certificats médicaux, prescriptions médicales d’antalgiques, attestations de proches …).

B. Les préjudices extra-patrimoniaux permanents

Le déficit fonctionnel permanent :

Il s’agit de l’atteinte physique et psychique comprenant l’incapacité médicale, les douleurs et la perte de qualité de vie à compter de la consolidation.

Ce poste est évalué par un pourcentage de 0 à 100.

Sont habituellement utilisés les barèmes du concours médical 2001 et le barème d’évaluation médico-légale de la société de médecine légale et l’association des médecins experts en dommage corporel.

Le régime des accidents du travail impose le recours à un barème qui est propre à la matière.

L’évaluation de ce poste dépend des conclusions de l’expert médical. Il faut être vigilant sur la prise en compte de la douleur permanente.

L’indemnisation par une somme forfaitaire dépend du taux retenu par l’expert, l’âge de la victime, la multiplicité des séquelles, les particularités de la victime (personne très active …).

Le préjudice d’agrément :

C’est l’impossibilité de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisir ou la perte de chance d’en découvrir une.

Le préjudice d’agrément ne se confond pas avec l’atteinte à la qualité de la vie qui est incluse dans le déficit fonctionnel permanent.

Ce poste est apprécié eu égard à la particularité de la victime (in concreto).

Il faut être très vigilant lors d’une expertise et produire des photographies, attestations, licences sportives prouvant que la victime était très active avant l’accident et qu’elle est désormais privée de la possibilité de poursuivre ses activités anciennes.

Le préjudice esthétique permanent :

Altération définitive de l’apparence physique de la victime : cicatrice définitive, boiterie, claudication, déplacement en fauteuil roulant, en déambulateur …, modification de la physionomie : paralysie faciale, déformation, modification des habitudes vestimentaires …

L’évaluation de ce poste est fondée sur des constatations objectives (cicatrices…) et sur des éléments in concreto (âge, sexe, habitudes sociales …).

Ce poste de préjudice est évalué par l’expert sur une échelle de 1 à 7 et réparé par l’allocation d’une somme forfaitaire.

Le préjudice sexuel :

Il peut correspondre à un préjudice morphologique (atteinte aux organes), à un préjudice lié à l’acte sexuel lui-même (perte de plaisir …), ou à un préjudice lié à une impossibilité de procréer (stérilité, impuissance).

Il est important que cette question soit traitée lors de l’expertise médicale et étayée si besoin à l’aide d’une attestation du conjoint ou d’un médecin traitant.

Le préjudice d’établissement :

Perte de chance de réaliser un projet familial, se marier, fonder une famille, élever des enfants. Par exemple, une mère qui ne peut plus s’occuper elle-même de ses enfants dans le cadre d’une vie familiale déjà bâtie, peut se prévaloir d’un préjudice d’établissement.

Les préjudices permanents exceptionnels :

Il s’agit d’une circonstance exceptionnellement traumatisante qui n’est pas indemnisée par un autre poste. Par exemple, trois touristes enlevés lors d’un stage de plongée et détenus plusieurs mois sur l’île de Jolo réparés par l’allocation des sommes de 300.000 euros, effondrement de la passerelle du QUEEN MARY ayant entrainé des séquelles psychiques irréversibles…

Il importe de décrire avec précision le déroulement de l’évènement traumatique, et communiquer le récit de témoins, des protagonistes, des photographies, des certificats de médecins spécialistes…

C. Les préjudices extra-patrimoniaux évolutifs

Il s’agit de la prise en compte des préjudices liés à une pathologie incurable et évolutive n’engageant pas nécessairement le pronostic vital.

Le risque d’évolution de la maladie doit être considéré comme un préjudice distinct et doit être indemnisé en tant que tel (Sida, hépatite C…).

Ce préjudice comprend :

  • l’annonce de la contamination par un agent pathologique
  • l’angoise quant à l’avenir, et à l’évolution de la maladie
  • nécessité de se soumettre à des examens médicaux réguliers
  • Dégradation du climat familial social et professionnel, sentiment d’exclusion …

L’évaluation du préjudice corporel est très complexe car elle se décompose en périodes successives, en de nombreux postes de dommages, et qu’elle suppose un rapport d’expertise aussi complet que possible accompagné des pièces justificatives les plus exhaustives qu’elles soient.

NOTE : Les articles élaborés par Me Ronit ANTEBI s'appuyant sur la jurisprudence et les textes en vigueur sont à jour à la date de leur rédaction. Ils ne s'auto-actualisent pas. Afin de tenir compte des évolutions législatives et jurisprudentielles, l'internaute est invité à toujours rechercher l'actualisation par tous moyens. Il n'est pas dispensé de solliciter une consultation juridique auprès d'un professionnel du droit.

Comments (1)

  1. bonjour, je souhaites faire vérifier la proposition d’indémnisation reçu suite à un sinistre dans le cadre d’une GAV souscrit auprès de l’assureur Générali. Effectivement à la lecture de l’offre, j’ai la sensastion qu’un bon nombre des éléments évoqués dans votre article non pas été pris en compte… Pouvez-vous prendre ce dossier et/ou me diriger sur un conseil ? Le sinistre concerne ma fille de 19 ans qui s’est fracturé l’humérus à 2 reprises avec toutes les conséquences que cela a eu sur sa vie et sur son avenir depuis cet accident. Bien à vous

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