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Incapacité de recevoir à titre gratuit : l’invalidation constitutionnelle

Par Maître ANTEBI - Avocat à Cannes, Nice, Grasse, Antibes

Avocat à Cannes - Maître AntebiDroit de la successionIncapacité de recevoir à titre gratuit : l’invalidation constitutionnelle

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Incapacité de recevoir à titre gratuit : l’invalidation constitutionnelle

La loi d’adaptation de la société au vieillissement de 2015 a mis en place une incapacité de recevoir à titre gratuit qui s’abat autant sur les professionnels que sur les bénévoles offrant leur service d’aide à domicile aux personnes qui les recrutent afin de leur permettre de rester à domicile et qui vont tester et décéder sous l’empire de ce service rendu.

L’article L 116-4 du Code de l’action sociale et des familles tente ainsi de protéger les personnes qui pourraient être qualifiées de « vulnérables » et qui pourrait céder au risque d’emprise ou d’abus de faiblesse.

Cet article partait d’un « bon sentiment » ; cependant, il n’a pas fait l’objet d’un recours au conseil constitutionnel lors de son entrée en vigueur et ce texte restait en quelque sorte exposé à un tel recours pouvant être engagé par les avocats à titre incident à l’occasion d’une instance en justice.

Le cas de figure classique qui s’est présenté à plusieurs reprises aux Avocats suite à cette loi est le suivant.

Une personne recrute une aide à domicile, un jardinier, un majordhomme pour l’aider dans ses tâches quotidiennes et si elle est âgée, ce recrutement peut même aller jusqu’à lui éviter le placement en maison de retraite le cas échéant par suite d’une difficulté de mobilité, par exemple.

Cette personne a pu lier amitié avec cette aide à domicile, ce jardinier lequel a peut-être par ailleurs outrepassé l’exécution de sa seule mission rémunérée ou pas et lui rendre d’autres services (lui tenir compagnie, jouer aux cartes, converser, réchauffer son cœur), par pure humanité. Le jour où l’employeur souhaite le remercier en le gratifiant, il peut décider d’écrire son testament et s’il n’a pas de descendance, il peut même l’instituer légataire à titre universel en lui léguant une quote-part de son patrimoine. Parallèlement, le testateur peut décider de gratifier à titre gratuit une oeuvre, une fondation ou une association caritative, ou des cousins éloignés, en les instituant légataires universels.

La fondation légataire ou le cousin éloigné va, au jour de l’ouverture de la succession, contester le legs à titre universel conféré au jardinier ou aide-ménagère, en lui opposant cette loi radicale.

C’est alors que le débat peut être vif et que l’on peut s’interroger légitimement sur le point de savoir si cette loi qui interdit en quelque sorte à une personne de tester en faveur de son aide à domicile est contraire au droit de propriété et en particulier, à la libre disposition de ses biens.

C’est alors que le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 décembre 2020 par la cour de cassation (civ 1ère 18 décembre 2020 pourvoi n° 20-40060, Légifrance) elle-même saisie par le tribunal judiciaire de Toulouse, dans les conditions prévues par l’article 61-1 de la constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité.

La question posée était celle de savoir si l’article L 116-4 du CASF résultant de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, méconnait les articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, faisant partie du bloc de constitutionnalité.

Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.

Le conseil constitutionnel a désormais, par décision du 12 mars 2021 (décision 2020-888 QPC), répondu à cette QPC.

Selon lui, il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la DDHC de 1789, des limitations justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

Le Conseil constitutionnel estime que le texte déféré limite les personnes âgées, les personnes handicapées ou celles qui ont besoin d’une aide personnelle à leur domicile ou d’une aide à la mobilité, dans leur capacité à disposer librement de leur patrimoine. Le droit de disposer librement de son patrimoine étant un attribut du droit de propriété, les dispositions contestées portent atteinte à ce doit.

En instaurant l’interdiction, le législateur a entendu assurer la protection des personnes dont il a estimé que compte tenu de leur état et dans la mesure où elles doivent recevoir une assistance pour favoriser leur maintien à domicile, elles étaient placées dans une situation particulière de vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation d’une partie de leurs biens par ceux qui leur apportaient cette assistance. Il a ainsi poursuivi un but d’intérêt général.

Toutefois, il ne peut se déduire du seul fait que les personnes auxquelles une assistance est apportée sont âgées, handicapées ou dans une autre situation nécessitant cette assistance pour favoriser leur maintien à domicile, que leur capacité à consentir est altérée.

Les services à la personne recouvrent une multitude de tâches et le simple fait qu’elles soient accomplies au domicile des intéressées ne suffit pas à caractériser dans tous les cas, une situation de vulnérabilité.

En second lieu, l’interdiction s’applique même dans le cas où pourrait être apportée la preuve de l’absence de vulnérabilité ou de dépendance du donateur.

Selon le conseil constitutionnel, l’interdiction générale contestée porte au droit de propriété une atteinte disproportionnée à l’objectif de protection poursuivi.

Elle doit donc être déclarée contraire à la Constitution.

Cette décision est d’effet immédiat et s’applique à tout différend non encore jugé définitivement à la date de la publication de celle-ci.

En conclusion :

Désormais, l’article L 116-4 ne peut plus être appliqué par les Tribunaux. En l’occurrence, il fait reconnaître que cette loi a été mal rédigée. Les lois sont de plus en plus votées à la hâte par l’Assemblée nationale. Elles ne sont pas toujours bien pensées, bien écrites et peuvent présenter un germe de contentieux lié à un problème d’interprétation, qui fait le lit du travail des Avocats une fois entrée en vigueur.

Aurait-t-on des députés qui ne présentent pas la même qualité juridique, culturelle ou rédactionnelle qu’à l’époque de Napoléon ? Je suis en droit de me poser cette question même si je ne l’espère pas.

Cette disposition légale a été libellée en termes trop génériques et a instauré une interdiction trop générale et absolue qui bribe les libertés protégées par la Constitution.

Elle a assimilé et « amagalmé » les personnes qui recrutent une aide à domicile aux personnes dont le discernement est altéré au sens de l’article 901 du Code civil (en matière de libéralité, il faut être sain d’esprit) ou qui se trouvent placées sous tutelle et qui aurait passé un acte sans le tuteur désigné judiciairement.

Elle présente la fragilité de n’émettre qu’une seule condition restrictive liée au fait pour la personne testatrice ou donatrice de devoir décéder sous l’empire de cette assistance à domicile. Or, force est de constater que toute personne devant recruter une aide à domicile n’est pas ipso facto incapable ou diminuée juridiquement. Elle peut très bien être parfaitement dotée de toutes ses facultés mentales et aucune raison n’expliquerait alors qu’elle se trouve, du fait de cette loi contestée, empêchée d’organiser à l’avance la transmission de sa succession.

Ronit ANTEBI Avocat en droit des successions à Cannes

NOTE : Les articles élaborés par Me Ronit ANTEBI s'appuyant sur la jurisprudence et les textes en vigueur sont à jour à la date de leur rédaction. Ils ne s'auto-actualisent pas. Afin de tenir compte des évolutions législatives et jurisprudentielles, l'internaute est invité à toujours rechercher l'actualisation par tous moyens. Il n'est pas dispensé de solliciter une consultation juridique auprès d'un professionnel du droit.

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