
(Cour de cassation arrêt du 18 décembre 2019 pourvoi n° 19-10.170, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation)
Un arrêt rendu par la Cour de cassation en 2019 attire l’attention.
M Q est décédé à son domicile en Espagne en laissant pour lui succéder son épouse séparée de biens et leurs deux filles domiciliées en France.
La veille de son décès, il avait signé par procuration notariée, un commodat d’une durée de trente ans portant sur un bien personnel immobilier situé en France.
La conjointe survivante a assigné M et Mme T…, bénéficiaires du commodat, en résiliation de celui-ci et en paiement d’une indemnité d’occupation.
La Cour d’appel a rejeté la demande de résiliation et de paiement au motif que l’acte était valable car il avait été régularisé par écrit et que la clause selon laquelle l’emprunteur devait assumer le montant des charges de copropriété, les assurances, les éventuels travaux et la taxe d’habitation, n’avait fait l’objet d’aucun grief par le prêteur, de son vivant, concernant la prise charge par les emprunteurs de ces frais et charges de l’appartement, de sorte qu’il les en tenait quitte.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel non pas parce qu’elle aurait adopté une motivation juridique erronée, mais parce qu’elle n’a pas respecté le principe du contradictoire, ce qui aurait dû l’amener à inviter chacune des parties à formuler des observations sur le point de savoir su le prêteur avait exclu ou non tout grief quant à la prise en charge par les emprunteurs des frais et charges relatifs à l’appartement.
Les héritières du défunt ont fait grief à l’arrêt d’appel d’avoir jugé que pour faire une libéralité ou plus généralement un acte valable, il faut être sain d’esprit,
Qu’après la mort de l’intéressé, les actes faits par lui, qui s’analysent en une donation directe ou indirecte entre vifs, peuvent être attaqués par ses héritiers pour insanité d’esprit, sans qu’il soit nécessaire que l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental, (art 901 du Code civil)
Que la mise à disposition gratuite d’un logement constitue une libéralité quand est caractérisée un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier,
Que pour déclarer valables la procuration et le prêt à usage, l’arrêt d’appel se borne à retenir que les libéralités entre vifs supposent que le donateur se dessaisisse irrévocablement de la chose donnée,
Que le commodat, bien qu’étant par essence gratuit, n’est pas constitutif d’une libéralité, puisque le prêteur demeure propriétaire de la chose prêtée,
Que la procuration aux fins de commodat, ne peut donc être annulée que si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental, et que cette preuve n’est pas rapportée en l’espèce.
La qualification de libéralité a donc été écartée par la Cour d’appel, bien qu’il ait par ailleurs été relevé que la cause du prêt à usage résidait dans la volonté du prêteur de procurer un avantage à l’emprunteur, sans qu’il ait été établi que l’occupation gratuite de l’appartement accordée pour une période longue, sans possibilité pour le prêteur de solliciter en justice la restitution de la chose en cas de besoin pressant et imprévu de celle-ci, n’impliquait aucun appauvrissement du disposant.
La Cour d’appel s’est donc positionnée sur la qualification de commodat et a jugé que l’acte était valable tout en vérifiant par elle-même que la clause de contrepartie n’avait pas été inexécutée par les emprunteurs, justifiant ainsi que la demande de résiliation contractuelle n’était pas fondée.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, mais pas sur la question de droit où on l’attendait.
Il est regrettable que la Cour de cassation ait préféré se positionner sur le terrain de la procédure (défaut de contradictoire) et qu’elle ait perdu une occasion de se prononcer sur le fond du litige en qualifiant directement la mise à disposition de cet appartement de « commodat » plutôt que de « donation » et en rappelant les effets successoraux qui diffèrent dans les deux cas.
On rappelle que dans le cas où la transaction est qualifiée de « donation », les héritiers du défunt peuvent agir en réduction, sur le fondement des dispositions des articles 920 et suivants du Code civil.
Si elle est qualifiée de « commodat », ils ne peuvent agir que sur le terrain contractuel (en résiliation pour inexécution d’une clause du contrat).
Ronit ANTEBI Avocate
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