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Insanité d’esprit & nullité en droit des successions

Par Maître ANTEBI - Avocat à Cannes, Nice, Grasse, Antibes

Avocat à Cannes - Maître AntebiDroit de la successionInsanité d’esprit et nullité en droit des successions

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Insanité d’esprit et nullité en droit des successions

Qu’est-ce que l’insanité d’esprit ?

En vertu de l’article 901 du code civil, les héritiers peuvent demander au tribunal d’ordonner la nullité du testament de leur ascendant, si ce dernier est affecté d’une insanité d’esprit,

Un arrêt récent rendu par la Cour d’appel de Dijon (RG n°21. 008199) en date du 2 février 2023 – 3e chambre civile- donne une illustration contemporaine de la notion d’insanité d’esprit en matière testamentaire et d’assurance-vie.

Les faits

Insanité d’esprit et nullité en droit des successions - Avocat à Cannes - Maître AntebiEn l’espèce, Madame A, veuve en premières noces de Monsieur B, s’est remariée en 1945 sans contrat préalable avec Monsieur C, oncle de Madame D.

Monsieur C est décédé le 29 mai 2006, laissant pour lui succéder son épouse survivante, commune en biens et donataire en vertu d’un acte de donation entre époux dressé le 10 septembre 1987 de la quotité la plus large permise entre époux.

La conjointe survivante a alors hérité de son époux d’un patrimoine composé notamment d’une propriété située en Haute-Garonne qui constituait le domicile conjugal ainsi que des meubles, liquidités et valeurs mobilières, le tout évalué à 310 974€, outre le capital d’assurance-vie de 153 211€.

Par testament olographe en date du 28 janvier 2006, Madame A a institué pour légataire universelle Madame D (la nièce de son second mari).

En mars 2006, Madame A entre en maison de retraite, localisée proche du domicile de la nièce.

Par avenant du 22 août 2006, Madame A a modifié, au profit de Mme D (la nièce) la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie PREDIGE V 2, souscrit le 22 octobre 1993.

Suite à un signalement de la Direction de la maison de retraite en date du 16 mai 2007 portée auprès du Procureur de la République, Madame A a été placée sous tutelles, selon jugement du 18 décembre de la même année.

Madame A est décédée le 27 septembre 2009, laissant pour lui succéder Monsieur E, son petit-fils, seul héritier réservataire.

Contestant le testament olographe du 20 janvier 2006 et l’avenant modificatif de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie du 22 août 2006, Monsieur E a fait assigner Madame D devant le Tribunal judiciaire de DIJON.

Le 6 mai 2013, le Tribunal judiciaire a rendu un jugement avant dire droit, aux termes duquel il a ordonné la communication par le tribunal d’instance de Beaune de l’entier dossier de tutelles concernant Madame A et il a dit que ce dossier fera l’objet d’une expertise médicale confiée au Docteur N dont la mission est de fournir tous éléments d’information propres à déterminer si oui ou non la de cujus disposait d’une capacité suffisante pour établir valablement un testament. Pour le reste, il a ordonné le sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport.

Le médecin expert a déposé son rapport le 6 juin 2017, concluant qu’à la date du 28 janvier 2006, Mme A ne disposait déjà plus des facultés cognitives nécessaires à l’établissement d’un testament valable.

En ouverture de rapport, le Tribunal judiciaire a rendu un jugement en date du 3 mai 2021 d’après lequel a été débouté le petit-fils de la défunte de sa demande relative à la nullité de la clause bénéficiaire modifiée du contrat d’assurance vie tout en condamnant Mme D à lui rembourser en tant qu’unique héritier de feue Madame A, les sommes de 58 200€ et 6 329€, outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation.

Le petit-fils de la défunte interjette appel du jugement querellé.

Il démontre qu’il est fondé à solliciter, en cause d’appel, la nullité du testament olographe de sa grand-mère en date du 28 janvier 2006 dans la mesure où celui-ci a été établi alors que la testatrice était affectée d’un syndrome démentiel avec une infirmité importante, lié à la maladie d’Alzheimer, et alors que ce testament a été rédigé proche du domicile de Mme D, et non en l’Etude du notaire.

Madame D estime que le petit-fils ne rapporte pas la preuve de l’insanité d’esprit de la testatrice à la date de la rédaction du testament, que les termes de l’expertise médicale, sur pièces, sont contestables, l’expert se basant sur des éléments postérieurs à la date du testament et n’ayant pas tenu compte de ses dires alors que le notaire relate que rien dans le comportement de la testatrice ne pouvait lui laisser penser qu’elle n’avait pas son complet discernement.

En Droit

Insanité d’esprit et nullité en droit des successions - Avocat à Cannes - Maître AntebiSur ce, la Cour d’appel rappelle le droit :

Selon l’article 901 du Code civil, pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit.

La libéralité (testament, donation) est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence.

L’article 414- 1 du même Code prévoit que pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit.

C’est à celui qui agit en nullité pour cette cause, de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte.

Insanité d’esprit et nullité du testament

En l’espèce, la Cour constate que le testament litigieux du 28 janvier 2006 comporte l’indication du lieu, de la date, la signature et l’identité de la testatrice qui lègue « mes biens meubles et immobiliers à ma nièce Madame D. Telles sont mes volontés ».

Elle fait référence au rapport d’expertise qui précise qu’à la date du 28 janvier 2006, la testatrice ne disposait déjà plus de ses facultés cognitives.

La lettre d’admission à la maison de retraite du mois de mars 2006 présentait Madame A comme affectée d’un syndrome démentiel avec infirmité importante, la mettant dans « l’incapacité de s’occuper d’elle-même ni d’une quelconque démarche administrative ».

Madame A bénéficiait d’une prise en charge à 100% par la Caisse primaire d’assurance maladie au titre de cette affection longue durée depuis le 1er décembre 1998.

La patiente avait effectué un séjour au centre médical de convalescence du 4 au 16 mars 2006 et la fiche d’évaluation à l’entrée, établie par le Docteur O mentionne « une désorientation complète, pas de communication cohérente ». 

De même que le courrier de consultation du Docteur Y, neurologue, établi le 25 septembre 2005 à l’adresse du médecin traitant, faisait état « d’importants troubles de la mémoire épisodiques, de la désorientation, des moments de confusion, la perte de l’aptitude à la lecture et cela, depuis environ 4 ans », ajoutant que « l’on peut raisonnablement estimer que cette maladie est à un stade déjà bien avancé », et ce à une date antérieure à celle de l’établissement du testament.

Au vu de ce qui précède, selon la Cour, les travaux de l’expert, certes réalisés sur pièces et postérieurement au décès, sont solidement corroborés par des éléments extrinsèques dont les constatations du personnel soignant ayant accompagné la défunte à son entrée en maison de retraite.

La Cour va même jusqu’à préciser que les certificats médicaux du médecin traitant de la défunte de 2001 à 2006, et d’un autre docteur pour la période d’avril à décembre 2006, produits par Madame D, retenant une certaine autonomie avec conservation des facultés cognitives, sont en contradiction « surprenante » avec les pièces médicales et l’expertise, et ne suffiront pas à remettre en cause les analyses complètes et détaillées de l’expert judiciaire.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, caractérisent l’insanité d’esprit de Mme A au moment de la rédaction de son testament, le 28 janvier 2006. Il convient, dans ces conditions, de prononcer la nullité de ce testament.

Insanité d’esprit et Nullité de l’avenant modificatif de la clause bénéficiaire

Le recel contre un légataire universelConcernant la clause modificative de l’assurance vie, la Cour indique que Madame D, se fonde sur les dispositions de l’article 414- 2 du Code civil selon lequel :

Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers pour insanité d’esprit que dans les cas suivants :

Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental,

S’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice.

Si une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection futur.

En l’espèce, le 22 octobre 1993, la défunte avait souscrit auprès de la Caisse régionale du Crédit Agricole un contrat d’assurance-vie PREDIGE avec versement initial d’un capital de 19 818€, suivi de versements libres. Le bénéficiaire, en cas de décès, avait été initialement désigné comme étant « mon conjoint, à défaut mes enfants nés à naître, et à défaut mes héritiers ».

Le 22 août 2016, ce contrat fait l’objet d’un avenant aux termes duquel le bénéficiaire en cas de décès devenait désormais Madame D.

Mme D explique que la clause modificative ne comporte pas d’élément intrinsèque recelant l’existence d’un trouble mental.

La Cour estime que le contexte dans lequel le changement de clause de bénéficiaire a été effectué, est identique à celui relaté à l’occasion de l’élaboration du testament litigieux.

Ce contexte d’hospitalisation et de rédaction d’un testament contestable, révèle la volonté de la souscriptrice de se dépouiller de manière irrévocable de sorte qu’il entraîne la requalification de l’assurance-vie en donation.

L’insanité d’esprit ayant été démontrée dès avant le changement de bénéficiaire, il y a lieu de prononcer la nullité de l’avenant modificatif du 22 août 2006 ayant désigné comme bénéficiaire de l’assurance vie, Madame D.

Le jugement entrepris a donc été infirmé de ce chef.

Il ressort de cet arrêt d’espèce des informations qui sont importantes.

En effet, afin de démontrer l’insanité d’esprit, il est nécessaire de se prévaloir du dossier médical du patient et du dossier de tutelles, le cas échéant.

Le dossier de tutelles est une pièce qu’il n’est pas possible de reproduire ni de verser aux débats judiciaires dans la mesure où il contient des éléments de santé couverts par le secret médical qui est d’ordre public. Il n’est possible pour l’Avocat que de le consulter au greffe du Tribunal de proximité, sur autorisation de la Direction des Archives départementales. Par conséquent, s’il y a un contentieux judiciaire en cours, il est nécessaire de solliciter un jugement incident ou avant dire droit afin qu’un expert médical soit désigné et qu’il puisse avoir accès à ce dossier de protection du majeur incapable, pour donner son avis sur les capacités cognitives au jour de l’acte litigieux.

En revanche, le secret médical attaché au dossier médical du patient non soumis à un régime de protection, n’est pas un obstacle ; ce dossier médical que peut détenir un  centre hospitalier par exemple, peut être recueilli et produit en justice à la diligence des héritiers qui justifient de leur qualité héréditaire en vertu d’un acte de notoriété et ce, dans la mesure où le concernant, le secret médical s’arrête à la date du décès du patient et que les dispositions de l’article L 1110-4 du Code de la santé publique disposent que les héritiers peuvent en obtenir communication s’ils justifient d’un motif légitime tel que la revendication d’un droit d’héritage

(« Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès »).

Cet arrêt nous montre aussi que, dans le cas où des pièces médicales se contredisent entre elles parce qu’elles émanent de parties adverses dont les intérêts son contradictoires, les juges du fond vont pouvoir apprécier souverainement l’insanité d’esprit d’après les éléments intrinsèques comme extrinsèques de l’acte litigieux. Il en extirpe la cohérence générale. Des attestations de témoins relatant le comportement de l’auteur de l’acte à la date de son établissement sont également bien appréciées par les tribunaux. Et plus généralement, tout moyen de preuve est admis.

Me Ronit ANTEBI Avocate en droit des successions au barreau de Grasse

NOTE : Les articles élaborés par Me Ronit ANTEBI s'appuyant sur la jurisprudence et les textes en vigueur sont à jour à la date de leur rédaction. Ils ne s'auto-actualisent pas. Afin de tenir compte des évolutions législatives et jurisprudentielles, l'internaute est invité à toujours rechercher l'actualisation par tous moyens. Il n'est pas dispensé de solliciter une consultation juridique auprès d'un professionnel du droit.

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