Non recevabilité de la constitution de partie civile aux deux nièces de la défunte victime d’abus de faiblesse
La chambre criminelle de la cour de cassation a rendu un arrêt en date du 4 septembre 2007 (pourvoi n° 06-87997, Légifrance) aux termes duquel elle a cassé l’arrêt de la cour d’appel d’AIX EN PROVENCE du 13 septembre 2006.
La cour d’appel avait retenu la qualification d’abus de vulnérabilité contre Mme Christiane X et l’avait condamnée à une peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis.
Charlotte Y est décédée, laissant pour lui succéder ses deux nièces (Anne-Marie et Patricia). La tante était également la marraine de Patricia.
Les deux nièces se sont disputées avec leur tante lorsqu’elles ont appris qu’elle avait gratifié de manière inconséquente sa gouvernante Christiane tandis que Charlotte avait des facultés mentales altérées.
Elles lui reprochaient de les avoir écartées de sa succession.
Elles soutenaient que Christiane avait bénéficié personnellement de chèques effectués à son profit, qu’elle procédait à des retraits d’espèces avec la carte bancaire de leur tante.
Patricia avait l’habitude de regarder les dépenses et les recettes de sa tante et marraine, avait attiré l’attention sur d’apparents problèmes financiers, ce qui avait provoqué la colère de la gouvernante.
Patricia n’osait plus réapparaître au domicile de sa tante.
Ce n’est qu’après la rupture entre la marraine et sa filleule que Charlotte a désigné comme bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie Christiane pour un montant de 153.000 euros.
En outre, l’enquête pénale avait révélé que Charlotte, veuve sans enfant, s’était dépossédée courant juin 2000 de l‘appartement qu’elle occupait depuis plus de 10 ans, pour acquérir avec son employée, qui en devenait nue propriétaire, un logement équivalent sur lequel elle ne possédait plus qu’un simple droit d’usage et d’habitation.
S’il est vrai que Christiane avait souscrit un prêt partiel, l’origine de la somme de 98.000 francs comme apport personnel est demeurée inconnue.
Une partie du prix recueilli à l’occasion de la vente de l’appartement initial de Charlotte n’a pas transité dans ses comptes mais a servi à la souscription d’un contrat libre épargne au bénéfice, en cas de décès, de Christiane.
Non seulement Charlotte perdait son logement et ne détenait plus qu’un démembrement de droit, mais encore elle était caution hypothécaire du prêt souscrit par sa gouvernante, réglait les frais d’acte notarié, était tenue au paiement des impôts fonciers et charges du logement.
Ces actes qui n’étaient guidés par aucun souci d’améliorer le confort de Charlotte, était gravement préjudiciables aux intérêts de Charlotte. Le rapport de tutelle ultérieur a mis en évidence que les retraits d’espèces et les sommes débitées sur son compte excédaient largement ses besoins de la vie courante.
A son décès, il restait un solde négatif sur son compte bancaire, ayant été dépouillé.
Au moment des actes litigieux, en juin 2000, Charlotte se trouvait dans une situation de vulnérabilité car elle était âgée de 90 ans, isolée socialement, du fait de sa maladie d’Alzheimer par essence évolutive, et déjà révélée par des troubles mnésiques.
Christiane soutenait de son côté que l’abus de faiblesse supposait de caractériser des agissements sur la personne de Charlotte, que les actes contestés avaient pu être pris par le de cujus en toute connaissance de cause et en toute indépendance, que la constitution de partie civile des plaignantes n’était pas recevable.
L’arrêt d’appel a déclaré Christiane coupable du délit d’abus de vulnérabilité et l’a condamnée à verser aux deux nièces la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral.
La Cour de cassation a dit que le droit d’exercer l’action civile devant la juridiction pénale n’appartient qu’à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction, que pour déclarer recevables les nièces par alliance de la victime en leur constitution de partie civile, et condamner la prévenue à leur payer des dommages et intérêts, l’arrêt énonce que si elles ne justifient pas de leur qualité de légataire à titre universel, elles ont néanmoins subi un préjudice moral direct et certain découlant des agissements de Christiane qui ont conduit à leur rupture affective avec leur tante et marraine.
Mais attendu qu’en se prononçant ainsi alors que « la rupture affective » entre la victime et ses nièces n’est pas la conséquence directe du délit d’abus de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse, la cour a méconnu les textes susvisés (article et 2 et 3 du Code de procédure pénale : L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction.).
Les nièces n’ont pas été reçues en leur constitution de partie civile.
Toutefois on peut se demander si cette constitution de partie civile n’aurait pas été mieux accueillie dans le cas où elle aurait été motivée par le fait que les plaignantes avaient la qualité d’héritières légale (ab intestat) si l’on s’appuie sur l’ordre des successibles défini par la loi, et qu’en cette qualité, elles étaient à même d’invoquer un détournement d’héritage.
Ronit ANTEBI avocat en droit des successions et droit pénal à Cannes