
Comment appréhender la problématique du remboursement de prêt de somme d’argent à la mort du prêteur ?
La pratique professionnelle expose l’Avocat à toutes sortes de cas de figure qu’il a pour mission de tenter de solutionner avec les outils juridiques dont il dispose.
Cette pratique permet parfois de se rendre à l’évidence que des questions de droit peuvent se poser et l’aide de la jurisprudence c’est-à-dire les tendances dégagées par les Tribunaux qui interprètent la loi, s’avère précieuse. Il est des questions qui parfois se heurtent à une jurisprudence timorée ou encore naissante.
En une espèce, il s’agissait de s’interroger sur les faits suivants.
Un prêt d’argent avait été consenti par un particulier à un membre de sa famille, son neveu.
Ce type de contrat est un contrat réel c’est-à-dire qu’il se forme par la remise effective des fonds à l’emprunteur.
Le prêt à usage est un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi (article 1893 du Code civil).
La preuve de l’existence du prêt incombe au prêteur de deniers, qui doit établir la réalité de la remise des fonds ainsi que l’intention de prêter (à charge qu’elle lui soit restituée après usage) et non de donner (transmission de propriété irrévocable).
Pour l’emprunteur, le prêt ainsi consenti, donne lieu à une créance de restitution (principal et intérêts) à l’adresse du prêteur de deniers.
La difficulté tient au fait que le prêteur de deniers peut n’avoir rien réclamé à l’emprunteur à la date de l’exigibilité de la créance de restitution. Cinq années (délai de droit commun pour prescrire une action, en droit des obligations) s’écoulent, sans acte interruptif de prescription, et il ne peut plus rien réclamer au prêteur…
Le prêteur de deniers décède et l’emprunteur oppose aux héritiers réservataires, dans le cadre de la succession qui s’ouvre, la prescription de leur action. En effet, il soutient que le prêteur ne l’avait pas invité, de son vivant, à restituer le principal et les intérêts dans le délai de droit commun de la prescription de 5 ans qui court à compter du terme contractuel. Ce débiteur soutient pour sa défense, que la créance de restitution est prescrite, faute d’avoir été interrompue par l’effet d’un acte interruptif de prescription qui lui aurait été notifié dans le délai légal de l’article 2224 du Code civil.
Il est parfois possible que la créance de restitution ne fasse pas l’objet d’une réclamation telle une mise en demeure ou une voie d’exécution forcée (commandement, sommation etc …) lorsque le prêt a été consenti dans le cercle familial (un oncle au profit de son neveu par exemple).
Au décès du prêteur, si celui-ci a laissé pour lui succéder des enfants, héritiers réservataires, ce sont ces derniers qui seront impactés par le non-remboursement de la créance que l’emprunteur devait à leur de cujus.
Les héritiers du défunt vont vouloir demander le remboursement à la succession de cette créance de restitution. Mais ils se heurteront à la prescription.
Or dans l’espèce qui nous intéresse, le prêteur de deniers avait prévu d’insérer dans son testament, une clause dans le cas où ce prêt d’argent ne lui serait pas remboursé au jour de son décès, en disposant que la créance s’imputera directement sur la quotité disponible de sa succession.
Cette clause est juridiquement valable. Mais que veut-elle bien dire exactement ?
Selon l’article 912 al. 2 du Code civil, la quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi aux enfants du défunt et dont ce dernier peut disposer librement au profit de qu’il souhaite en vertu d’une donation ou d’un testament.
Si cette créance s’impute sur la quotité disponible, les héritiers réservataires ont le droit de la considérer comme une donation et ils pourront exercer une action en réduction si elle excède la quotité disponible au point d’impacter leur part réservataire (protégée par la loi).
La créance de somme d’argent, stipulée imputable sur la quotité disponible, peut donc être qualifiée de donation rapportable.
Elle sera traitée comme une libéralité soumise aux règles de la réduction en cas de dépassement de la quotité disponible.
Ainsi, la créance de prêt non remboursée au décès du prêteur peut être imputée, par volonté testamentaire, sur la quotité disponible, à condition de respecter la réserve héréditaire des enfants du défunt.
Si la créance n’est pas remboursée au décès du prêteur et qu’elle s’impute sur la quotité disponible, elle est considérée comme une libéralité faite à l’emprunteur et si elle excède la quotité disponible, cet excédent est sujet à réduction au profit des héritiers réservataires.
La part de l’emprunteur sera donc réduite de ce qui dépasse ce qu’il est permis par la loi de donner ou de léguer à un tiers autre que les héritiers réservataires (les enfants du prêteur).
La créance non remboursée ne sera pas considérée comme une simple créance de la succession (qui s’inscrit à l’actif successoral) mais comme une libéralité rapportable, ce qui peut avoir un impact sur le partage entre les héritiers.
L’enjeu réside dans la prescription, son point de départ et la question de savoir si le délai d’action est expiré ou s’il est reconduit par l’effet d’un acte interruptif intervenu dans les cinq ans.
La prescription d’une créance de prêt d’argent est régie par les règles de droit commun du Code civil.
L’article 2233 du Code civil dispose que :
“La prescription ne court pas :
1° A l’égard d’une créance qui dépend d’une condition, jusqu’à ce que la condition arrive “.
Lorsque la date du remboursement du prêt est fixée contractuellement, le point de départ du délai de prescription est reporté au jour où le terme arrive, c’est-à-dire à la date prévue pour le remboursement, entre les parties.
La durée de la prescription de droit commun est en principe de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, conformément à l’article 2224 du Code civil.
Ainsi, si la date de remboursement est fixée contractuellement au 1er février 2013, le prêteur de deniers a 5 ans pour réclamer sa créance de restitution, à compter de cette dernière date, soit jusqu’au 1er février 2018.
S’il ne réclame pas le remboursement de sa créance de restitution à l’emprunteur dans ce délai, son action est prescrite ; il est forclos.
Il peut ensuite décéder.
Les héritiers peuvent-ils revendiquer des droits en la matière ? Non.
Mais il en va différemment si le prêteur de deniers avait prévu dans son testament une clause dans laquelle il dit que cette créance de restitution non remboursée à son décès va s’imputer sur la quotité disponible, car seules les donations s’imputent sur les quotités disponibles.
Or en ce qui concerne les actions revendiquées par les héritiers réservataires en matière de donations, ces derniers disposent d’une action en partage judiciaire et en réduction qui court à compter de l’ouverture de la succession, et qui peut être exercée dans les cinq ans qui suivent le décès du donateur.
En vertu du testament établi par le prêteur de deniers, on peut estimer que les modalités de la condition du remboursement du prêt ont changé, par la volonté du disposant, par les circonstances de l’engagement.
Dans le cas d’une clause testamentaire disposant que la créance non remboursée au décès du prêteur, sera imputée sur la quotité disponible de sa succession, le point de départ de la prescription est fixé au jour de l’exigibilité de la créance c’est-à-dire au jour de l’ouverture de la succession (du décès) et non pas au jour du terme prévu contractuellement par les parties à l’acte de prêt.
On dispose ainsi d’une décision rendue par le Tribunal judicaire de BOBIGNY (n° 23-05819) en date du 16 mai 2024, qui statue en ce sens que la date de l’exigibilité de la créance devient celle du décès du prêteur (c’est-à-dire de l’ouverture de la succession), si le remboursement n’est pas intervenu avant ce terme.
La créance devient une donation de somme d’argent. La prescription commence à courir à compter du décès, conformément à la commune intention des parties et aux circonstances de l’engagement.
Si le décès du prêteur est intervenu plus de 5 ans à compter de la date prévue contractuellement pour le remboursement du prêt, et que le prêteur, de son vivant, n’avait jamais réclamé sa créance à l’emprunteur, la jurisprudence à vocation à considérer que du fait du testament, la créance de somme d’argent s’est novée en donation et que l’action des héritiers en la matière, court à compter non pas de la date d’exigibilité contractuelle mais de l’ouverture de la succession et ce, pendant un délai de 5 ans.
De sorte que le point de départ du délai est décalé à la faveur des héritiers réservataires.
Une telle décision permet de préserver, conformément à l’esprit du législateur, la réserve héréditaire.
R ANTEBI Avocate en droit des successions
Barreau de Grasse