A son décès, un défunt a laissé à son domicile des bijoux et des meubles de valeur.
Tous les biens meubles sont par définition, volatiles et fongibles.
Ils peuvent donc se « volatiliser » à l’ouverture de la succession.
Certains héritiers peuvent s’apercevoir après le décès de leur proche que les bijoux qui se trouvaient habituellement dans le logement familial ne s’y retrouvent plus, de même que des meubles de valeur ou œuvres d’art.
Un cohéritier, détenteur du double des clés, a pu se rendre au domicile du défunt avant les autres et faire une « razzia ».
Si les cohéritiers sont éloignés du défunt ou s’ils ont appris le décès avec retard, ils n’ont pas eu le temps matériel de saisir un Avocat pour demander en urgence la mise en place de scellés afin de protéger ce logement des intrus.
Dans un arrêt de la cour de cassation, rendu par la première chambre civile, le 7 octobre 2015 (pourvoi n°14-23.232, Légifrance), les faits étaient les suivants :
Lucile veuve Y est décédée le 3 octobre 1999, laissant pour lui succéder sa fille Paulette et, par représentation de sa fille Jacqueline, prédécédée, sa petite-fille, Olivia.
Paulette est décédée le 22 août 2005, laissant à sa succession, son mari, Lucien et leur fille, Pascaline.
Olivia s’estimait victime d’un recel successoral mais elle n’a pas beaucoup de preuves.
Elle demande donc la désignation d’un expert judiciaire qui serait chargé de reconstituer l’actif successoral en chiffrant autant que possible la valeur des bijoux de la défunte.
Elle produit aux débats une expertise réalisée en 1981 et un inventaire mobilier notarié du 21 septembre 2004 pour mettre en évidence les meubles manquants.
Subsidiairement, elle demande que soit ordonné le rapport à la succession de la somme de 151 991 euros correspondant à la valeur des bijoux de la défunte fixée en 1981 et d’une valeur forfaitaire de 50 000 euros correspondant aux meubles manquants d’après l’inventaire de 2004 (avec intérêts légaux).
Elle demande la condamnation des cohéritiers à la peine du recel successoral (article 778 du Code civil) et au paiement de dommages et intérêts d’un montant de 20 000 euros en réparation du préjudice subi.
Olivia fait remarquer que la défunte avait été placée sous curatelle en 1999, et que le curateur avait commis l’erreur de ne pas réaliser d’inventaire mobilier comme cela aurait dû être. C’est pourquoi elle n’était pas en mesure de produire une preuve aussi proche que possible du décès.
Lucien et Pascaline ont, de leur côté, développé la défense suivante :
Les faits sont très anciens ; ils remontent entre 1981 et 2004 ; on ne peut pas exclure que Lucile ait cru devoir vendre ses bijoux de son vivant ; une demande d’expertise judiciaire n’a pas vocation à pallier la carence d’une partie dans l’administration de la preuve.
Olivia répond que sa grand-mère n’a jamais eu besoin de revendre ses bijoux dans la mesure où elle avait une villa à Cannes, qu’elle l’avait vendue ; en outre, elle était restée propriétaire d’un appartement à Asnières et elle percevait des revenus confortables. Olivia a produit par ailleurs, une photographie de sa grand-mère (non datée) portant ses bijoux sur elle. Lors de l’audition de Pascaline par le juge des tutelles en 1999, à l’occasion de la mise en place de la curatelle, celle-ci a déclaré « j’ajoute que ma grand-mère dispose de nombreux bijoux de valeur importante, et que cela doit être signalé », ce qui fait foi d’un aveu extrajudiciaire.
Pourtant, le Tribunal judiciaire a rejeté la demande de la petite-fille de la défunte, Olivia.
La Cour d’appel de Versailles a rendu un arrêt confirmatif et rejeté la demande d’Olivia.
Les juges du fond estimaient, en effet, qu’aucun élément produit ne permettait de prouver que les meubles (meubles meublants, bibelots, tableaux et bijoux), objet du prétendu recel, étaient toujours la propriété de Lucile au jour de son décès.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 7 octobre 2015, rejette le pourvoi.
Son « attendu » mérite d’être relaté ainsi :
« Attendu que, sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, les appréciations souveraines par les juges du fond des éléments de preuve soumis à leur examen et par lesquelles ils ont estimé, d’une part, qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner l’expertise sollicitée et, d’autre part, que la preuve du divertissement allégué n’était pas établie ; qu’il ne peut donc être accueilli ».
La Cour suprême rappelle ainsi qu’elle n’est pas un Juge du fait et qu’elle est un Juge du droit. Elle ne revient donc jamais sur une appréciation factuelle consacrée par les juges du fait. Elle veille seulement à ce que les premiers juges n’ont commis aucune erreur de droit. Elle censure s’ils ont mal appliqué un texte de loi ou s’ils ne l’ont pas appliqué alors qu’ils auraient dû le faire, ou s’ils se sont trompés de textes applicables ou s’ils ont mal posé la question de droit. Elle ne censure pas si les Juges du fond ont, au vu de l’examen des pièces produites par les parties et de leurs argumentations respectives, souverainement apprécié que la mesure d’expertise n’était pas recevable.
Mais surtout, elle tranche une autre question : celle de la preuve. Elle énonce que la preuve du divertissement allégué n’est pas rapportée. Autrement dit, si la demanderesse avait déposé plainte pour vol ou recel de vol, s’il y avait eu une effraction au domicile, s’il y avait eu des témoins ayant permis d’accréditer la thèse d’une infraction, les Juges auraient pu prendre plus au sérieux cette demande d’expertise judiciaire dans la perspective d’évaluer les conséquences d’un recel successoral.
Les Juges n’entendent pas « déranger » un expert en se fondant sur un simple soupçon voire fantasme autour d’une pseudo hypothétique probabilité de soustraction frauduleuse entre héritiers.
Car une autre possibilité restait envisageable et n’avait pas été entièrement éludée : celle de la vente des bijoux par la grand-mère, même après la mise en place de la curatelle. Les meubles sont volatiles…
Reste tout de même une curiosité : Lucile était hospitalisée en 1998, placée sous sauvegarde de justice en février 1999, puis sous curatelle en avril 1999, avant de décéder le 3 octobre 1999 sans avoir pu rejoindre son domicile dans l’intervalle, ce dont il résultait nécessairement que la de cujus n’avait pas pu vendre elle-même ses bijoux entre la curatelle et le décès.
Mais savoir s’il est possible de vendre les bijoux entre la curatelle et le décès sans revenir à son domicile dans l’intervalle pour revendre ses bijoux, relève, pour la cour de cassation d’une question de fait qui échappe à son contrôle.
Voilà pourquoi la cour suprême n’a pas admis qu’Olivia puisse se prévaloir d’une demande d’expertise judiciaire dans le cadre d’une dissipation non avérée.
Publié le 7 février 2022
Maître Ronit ANTEBI Avocate en droit des successions à Cannes